Voici un jeu qui sort très clairement de l’ordinaire. Il est sorti en octobre 2018 et pourtant nous pourrions penser qu’il nous vient tout droit des années 1970-80 car la grande particularité de Return of the Obra Dinn réside dans ses graphismes monochromatiques one-bit, typiques des jeux commercialisés sur les tout premiers ordinateurs Macintosh.
Return of the Obra Dinn est un jeu indépendant d’aventure, créé par Lucas Pope et édité par 3909 LLC. On y incarne un agent d’assurance de la Compagnie britannique des Indes orientales au début du XIXème siècle, qui est chargé d’inspecté l’Obra Dinn, un navire à la dérive, pour établir la cause de la disparation de tout son équipage.
À l’aide d’une montre à gousset particulière, le joueur peut revivre les scènes menant à la mort de chaque disparu et ensuite rétablir sur le livre de bord les identités des corps retrouvés par raisonnement déductif. La fresque ainsi dessinée révèle que marins et passagers ont affronté maintes épreuves tirées de l’imaginaire marin lors de leur voyage au large des côtes africaines. Il s’agit du premier jeu commercialisé par le créateur indépendant Lucas Pope après le succès de sa dystopie d’inspiration totalitaire Papers, Please, sortie en 2013.
Au terme de plusieurs années de développement, Return of the Obra Dinn propose un rendu graphique en noir et blanc inspiré des premiers jeux d’aventure graphique et dont l’intrigue exige une dizaine d’heures de réflexion. En prenant pour référence les rendus graphiques des jeux de son enfance, Pope décide de rendre visible le contour de chaque élément. Le dénuement esthétique des graphismes permet de mieux mettre en valeur certains détails nécessaires à la compréhension d’une scène (tels qu’une balle perdue ou un marin emporté par une vague) et qui, avec un rendu plus ambitieux et plus époustouflant, auraient pu être occultés.
La bande-originale fait surtout appel à des instruments de tonalité classique : cordes, cuivres, à vent, percussions, orgue ou clavecin, avec l’ajout parfois d’une basse électrique ou d’une grosse caisse. Lucas Pope fait en sorte d’assigner deux titres musicaux d’une minute à chacun des dix chapitres pour leur assurer une ambiance musicale dédiée. Ces deux airs sont ensuite attribués aux flashbacks de manière à alterner leur déclenchement. Capable de faire ressentir tantôt aussi bien de la peur, alors qu’aucun danger n’est apparent, que de la tension lorsque le temps s’arrête, la bande originale est intégralement composée par Pope.
L’Obra Dinn est un indiaman fictif affrété par la Compagnie britannique des Indes orientales et construit à Londres en 1796, de 800 tonnes et de tirant d’eau 18 pieds. Exemplaire typique des bateaux de l’âge de la voile, sa structure extérieure s’inspire plus précisément de l’HMS Leopard, en exercice entre 1790 et 1814 et rendu illustre par l’incident diplomatique de l’affaire Chesapeake-Leopard. Son gréement et son aménagement intérieur comme extérieur sont en revanche un amalgame de plusieurs navires dont Pope trouve les inspirations dans le volume Seamanship in the Age of Sail: An Account of Shiphandling of the Sailing Man-O-War, 1600-1860 de John Harland.
Return of the Obra Dinn semble de prime abord s’inscrire dans la tradition des œuvres de fiction faisant appel à la mythologie de l’homme contre la nature, illustrée notamment à partir de Moby Dick. La liste des causes de la mort de chaque personnage paraît même dresser l’inventaire des conventions du genre fictif du naufrage : « mort noyé », « poignardé », « écrasé » … Le jeu s’éloigne pourtant d’autres œuvres au thème naval telles que Assassin’s Creed IV Black Flag ou Sunless Sea, qui proposent un regard inquisiteur sur l’océan et invitent à l’exploration, par sa focalisation sur l’unique décor qu’est le navire.
Replay du stream du 10 juin 2021